Durant près de dix ans, de 1931 à 1940, cette savoureuse
Australienne née à Sydney 1 a illuminé les écrans de
l’Hexagone et symbolisé à sa manière, en ces temps où la
guerre rodait, l’Entente cordiale. Britannique jusqu’au bout des
ongles, mais élevée en partie en France, elle prétextait le
moindre contrat pour franchir le Channel et conquérir les studios
français 1. Sa beauté, sa santé, son accent léger
dont, coquette, elle usait à ravir, son amabilité sans effort lui
dispensaient les faveurs journalistiques. Ses interlocuteurs se
demandaient comment cette silhouette de sportive se diluait dans
leur souvenir en image vaporeuse, grâce à l’ironie de son
sourire, la fraîcheur de son rire, la caresse de ses moqueries. Ils
lui reconnaissaient de « la branche » : une dignité pétrie
de séduction, une aisance altière et, bien entendu, la finesse
d’un talent embellissant ses personnages. Si les journalistes
l’aimaient, les critiques, eux, soupiraient. Ravissante, Betty,
soit, quand elle secouait ses cheveux d’or ou plissait les paupières
de ses prunelles d’aigues-marines. Mais pourquoi s’embarquer,
avec son chic exemplaire, dédaigneuse du qu’en dira-t-on, sur de
fragiles rafiots pilotés (si l’on peut dire) par un Paulin (L’Abbé
Constantin, 1933), un Vaucorbeil (La
Garnison amoureuse, id.), un Caron (Les
Femmes collantes, 1938), un Berthomieu (Les
Nouveaux Riches, id.) ? Et la critique de déplorer
hypocritement de la voir se déshabiller (très joliment,
d’ailleurs) comme une autre Christiane Delyne, de s’exhiber en
maillot de bain dans des succédanés d’opérettes provençales (Trois
de la Marine, Charles Barrois, 1934 ; Arènes
joyeuses, Karl Anton, 1935 ; Les
Gangsters du Château d’If, René Pujol, 1939). Elle se riait
de ces reproches, tant elle aimait jouer sur le sable de la Côte.
Alors, pourquoi accepter, trop bonne fille, de camper plus souvent
qu’à son tour les intrigantes (Les
Nouveaux Riches, André Berthomieu, 1938), les hétaïres (La
Garnison amoureuse, Max de Vaucorbeil, 1933), les demi-mondaines
(Ils étaient neuf célibataires,
1939) ou les aventurières (Derrière
la façade, Yves Mirande et Georges Lacombe, 1938) ? Était-ce
son éclat, sa fantaisie, son art consommé d’écouter son
partenaire et de lui répondre du tac au tac, qui lui faisaient
accepter avec une trop grande constance ces personnages un rien répétitifs ?
À dire vrai, elle irradiait pour n’importe quel rôle son intense
bonheur de vivre qui lui autorisait toutes les impertinences. Avec
beaucoup d’assurance, elle avait frôlé à son avantage le drame
dans Club de femmes
(Jacques Deval, 1936). À la fin des années 30, elle avait trouvé
un succès personnel en interprétant la sympathique aviatrice de Sur
le plancher des vaches (Pierre-Jean Ducis, 1939). Pendant la
« drôle de guerre », elle prouva dans un film de
circonstance (Elles étaient douze femmes, Yves Mirande et Georges Lacombe, 1940)
qu’elle savait piétiner les préjugés avec conviction : un
modèle de tact et de bonne humeur. Peu avant, on lui avait confié
le personnage d’une aimable bourgeoise s’amusant, pour aider
dans ses amours le fils d’un austère magistrat, à séduire le
papa. Elle apparut éblouissante, jouant à ravir de la retenue étudiée,
de la modestie piquante, de l’audace calculée. Vénus à sa proie
attachée, elle parvint ce faisant à faire briller les pauvres répliques
de Roger Ferdinand dans ce Président
Haudecœur (Jean Dréville, 1939) où l’on ne voyait et
n’écoutait, plus qu’elle. Harry Baur, lourd de tics et de procédés,
ne pouvait que céder sa place à celle qui, plus tard, se souvenait
de cette France inaccessible, de ce pays où elle travaillait et où
elle avait passé les plus beaux jours de sa vie. Années
d’Occupation obligent, il fallut que s’écoule une décennie
entière avant de pouvoir célébrer son retour. Jacques Becker, le
premier, lui fit signe, qui lui permit de dessiner malicieusement,
dans Édouard et Caroline
(1950), une Américaine élégante, richissime, jouant les égéries
en parfaite reine du snobisme international. On retrouva son talent
intact en évitant de constater l’alourdissement de ses traits,
les traces de l’empâtement : c’était toujours l’étonnante
Betty. On la revit ensuite, dans un emploi similaire, chez Verneuil
(Les Amants du Tage,
1954), puis mêlée à l’intrigue policière d’une production
franco-britannique d’Edmond T. Gréville (Je
plaide non coupable, 1955). C’est en Angleterre qu’elle
tourne, l’année suivante, son dernier film (True
as a Turtle, Wendy Toye, 1956). Malgré les tentatives méritoires
de Jane Birkin, elle demeure aux yeux de ceux qui ont vécu ces années
cinématographiques lointaines, la figure de proue d’une période
heureuse que la Seconde Guerre mondiale a pour toujours anéantie. RC
1.
C’est cependant aux États-Unis que, repérée par les talent scouts d’Hollywood au cours d’une tournée théâtrale,
elle décroche en 1926 son premier rôle à l’écran dans What Price Glory ? de Raoul Walsh.
Texte
extrait de Ceux de chez lui ou
le Cinéma de Sacha Guitry et ses interprètes – Volume 1 (De
Pauline Carton à Howard Vernon), par Raymond Chirat, Armel De
Lorme et Italo Manzi, L’@ide-Mémoire 2010.
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