Fils de l’humoriste-poète Franc Nohain et frère de
Jean, dit Jaboune, futur grand nom de la radio, Claude qui savait
dessiner s’installa au théâtre de l’Odéon, non pour y jouer
la comédie mais pour s’occuper des décors. Dix ans passèrent
ainsi lorsque l’envie d’occuper la scène le poussa à devenir
Claude Dauphin pour se faire applaudir. Sympathique et rieur, il sut
panacher de fantaisie et de belle humeur les rôles qu’on lui
confiait. Il apprit à tempérer de tendresse ses regards volontiers
narquois. Sa modestie réelle se cachait sous la malice. Aérien
comme bulle de savon, il papillonnait entre cour et jardin,
observait les uns et les autres et constatait que la fréquentation
des mauvais acteurs côtoyés à l’Odéon lui avait été
profitable en lui prouvant tout ce que le naturel a d’enviable
chez le comédien.
Le cinéma, à l’aube du parlant, le happa
rapidement. En 1932, il reconnaissait avoir tourné en deux ans
dix-sept films, courts ou longs. Sous l’œil de la caméra, il
parcourut La Route heureuse (Georges Lacombe, 1935) pour savourer Le
Retour au paradis (Serge de Poligny, 1936). Tout en participant
au Voyage imprévu (Jean
de Limur, 1934), il s’amusait des Surprises du sleeping (Karl Anton, 1933) et croisait La Fille du régiment
(Carl Lamac et Pierre Billon, 1933). Quittant le presbytère de L’Abbé
Constantin (Jean-Paul Paulin, 1933), il allait vendre les
chaussures de Dédé (René
Guissart, 1934).
Cette agitation frivole, cette euphorie, se coloraient
parfois de gravité, viraient à l’amertume de Nous ne sommes plus des enfants (Augusto Genina, 1934). Poudre aux
yeux, poudre de riz, poussière du temps qui passe, autant de
variations qui n’échappèrent pas à l’œil vigilant de Sacha.
Claude Dauphin et Rosine Deréan, son épouse, mirent leur grain de
sel dans les papotages mondains de Faisons
un rêve… (Sacha Guitry, 1936). Ils apportèrent à cette
assemblée d’un certain âge la fraicheur de leur jeunesse.
L’année suivante (1937) Sacha Guitry les convie à
la recherche des Perles de la
Couronne. Rosine devient « une jeune fille anglaise de
1637 à 1937 », tandis Claude, sous les chaines du prisonnier
italien de la reine d’Abyssinie, s’abandonne avec délices aux
propos qu’il échange avec Arletty et Dalio. Vu le succès obtenu,
l’auteur joue aussitôt les prolongations et, à l’occasion de
la revue Crions le sur les
toits crayonne une parodie : Les
Fausses Perles de la Couronne. Claude devient duc de Chambly,
Rosine est toujours là, Arletty et Delubac, Sacha et Michel Simon,
Émile Drain et Jean-Louis Barrault les accompagnent. Or, au terme
du spectacle, Sacha cesse complètement d’utiliser Dauphin,
coqueluche du Boulevard, dont le talent semblait si bien
s’accorder aux reparties du « roi de Paris ».
Dans une interview ancienne, Dauphin avait reconnu que
le contrat qui le liait à Henry Bernstein pour la création de ses
pièces lui laissait peu de liberté. Il devait consacrer son temps
et son talent, d’année en année aux drames écrits par le rival
de Sacha Guitry : Le
Messager, Le Cœur, Espoir, Le
Cap des Tempêtes, La Soif…
Ce pourrait être l’explication de sa disparition définitive de
l’entourage du « bien-aimé ».
Bien plus tard, en août 1944, l’occupation de la
capitale n’est plus qu’affaire de jours. Un ami de Sacha, Albert
Willemetz, s’inquiète de ses imprudences et le questionne : «
Comment es-tu avec Claude Dauphin ? – Ni bien ni mal mais plutôt
bien. C’est un charmant garçon que je connais fort peu, mais
pourquoi me demandes-tu cela ? – Il fait partie de l’armée
Leclerc. »
En effet après avoir vécu en zone libre, fréquentant
les studios de Nice avec Marc Allégret (Félicie
Nanteuil, 1942), il rallie l’Angleterre en novembre de la même
année et s’engage dans les Forces Françaises Libres. Certes
Claude Dauphin aurait pu intervenir, aider Sacha à esquiver ce qui
lui arriva. Guitry sûr de lui, négligea son interprète tout en évaluant
mal le poids de ses quatre ans d’occupations.
Claude Dauphin poursuivit son étonnante carrière.
Son jeu acquit une ampleur inattendue qui triompha dans les représentations
de Mort d’un commis-voyageur
(Arthur Miller, 1965) ou de L’Amante
anglaise (Marguerite Duras, 1968). Très demandé à l’écran
il détaillait les comédies spirituelles, apparaissait
dans les films à sketches. Hollywood l’accueillit, il
tourna de même en Angleterre et en Italie. Ophuls le retint pour Le
Plaisir (1951) et Jacques Becker lui fit atteindre le sommet de
son art avec l’interprétation du bandit veule et cruel qui détruit
le bonheur de Simone Signoret et de Reggiani dans Casque
d’Or (1951). Sans doute si Sacha Guitry avait évoqué la Libération,
Claude aurait t’il eu un rôle dans Si
Paris nous était conté… ! (1955), mais l’auteur
s’est bien gardé d’attiser des cendres encore brûlantes.
Il mourut à 75 ans, vingt ans après la disparition
de Guitry. Le critique Roger Poirot-Delpech acheva ainsi son hommage :
« Rarement le métier consommé aura laissé déborder tant de
sensibilité intacte, rarement la gaieté aura trahi tant de chagrin
secret que la vie ne soit pas mieux faite et que la mort soit au
bout. »
Raymond
Chirat.
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FILMOGRAPHIE :
1931 :
Faubourg
Montmartre
(Raymond Bernard, présence non
formellement établie).
Figuration
(Antonin
Bideau, CM).
La
Fortune
(Jean Hémard).
Mondanités
(Jean Hémard, CM).
Tout
s’arrange
(Henri Diamant-Berger). 1932 :
Aux
urnes, Citoyens !
(Jean Hémard).
Clair
de lune
(Henri Diamant-Berger).
Hier
et aujourd’hui
(Léon Mathot, CM).
Paris-Soleil
(Jean Hémard).
Une
jeune fille et un million
(Max Neufeld et Fred Ellis).
Un
homme heureux
(Antonin Bideau). 1933 :
L’Abbé
Constantin
(Jean-Paul Paulin).
Boubouroche
(André Hugon, CM).
D’amour
et d’eau fraîche
(Félix Gandéra).
La
Fille du régiment
(Carl Lamac et Pierre Billon).
Pas
besoin d’argent
(Félix
Gandéra).
Le
Rayon des amours
(Edmond T. Gréville, CM).
Les
Surprises du spleeping
(Karl Anton). 1934 :
Le
Billet de mille
(Marc Didier).
Dédé
(René Guissart).
Nous
ne sommes plus des enfants
(Augusto Genina).
Un
château de cartes
(Jean-Louis Bouquet, CM).
Le
Voyage imprévu
(Jean de Limur). 1935 :
Retour
au paradis
(Serge de Poligny).
La
Route heureuse
(Georges Lacombe). 1936 :
Faisons
un rêve…
(Sacha Guitry).
Radio
(Maurice Cloche, CM). 1937 :
La
Fessée
(Pierre Caron).
Les
Perles de la Couronne
(Sacha Guitry et Christian-Jaque). 1938 :
Conflit
(Léonide Moguy).
Entrée
des artistes
(Marc Allégret). 1939 :
Battement
de cœur
(Henri Decoin).
Cavalcade
d’amour
(Raymond Bernard).
En
correctionnelle
(Marcel Aboulker, CM).
Le
monde tremblera/La Révolte des vivants
(Richard Pottier).
Paris-New
York
(Yves Mirande et Georges Lacombe). 1940 :
Les
Surprises de la radio
(Marcel Paul/Marcel Aboulker). 1941 :
La
Belle Vie
(Robert Bibal, CM).
Les
Deux Timides
(Yves
Champlain/Yves Allégret).
L’Étrange
Suzy
(Pierre-Jean Ducis).
Les
Hommes sans peur
(Yvan Noé).
Les
Petits Riens
(Raymond Leboursier et Yves Mirande).
Une
femme dans la nuit
(Edmond
T. Gréville).
Une
femme disparaît
(Jacques Feyder). 1942 :
La
Belle Aventure
(MarcAllégret).
Félicie
Nanteuil
(Marc Allégret).
Promesse
à l’inconnue
(André Berthomieu). 1943 :
The
Gentle Sex
(Maurice Elvey et Leslie Howard). 1944 :
English
Without Tears
(Harold French).
Salut
à la France/Salute to France
(Jean Renoir, CM).
Une
mission
(CM). 1945 :
Cyrano de
Bergerac
(Fernand Rivers).
Dorothée
cherche l’amour
(Edmond T. Gréville).
La
Femme coupée en morceaux
(Yvan Noé).
Nous
ne sommes pas mariés
(Bernard-Roland). 1946 :
Parade
du rire/La Parade du rire
(Roger
Verdier).
Paris
1900
(Nicole Védrès, commentaire).
Rendez-vous
à Paris
(Gilles Grangier).
Tombé
du ciel
(Émile Edwin Reinert). 1947 :
Croisière
pour l’inconnu
(Pierre Montazel).
L’Éventail
(Émile Edwin Reinert).
Route
sans issue
(Jean Stelli). 1948 :
Ainsi
finit la nuit
(Émile Edwin Reinert).
Le
Bal des Pompiers
(André Berthomieu).
L’Impeccable
Henri
(Charles-Félix
Tavano).
L’Inconnu
d’un soir
(Hervé Bromberger).
Jean
de la Lune
(Marcel Achard).
Van
Gogh
(Alain Resnais, CM, commentaire).
1949 :
La
Petite Chocolatière
(André Berthomieu).
La
Renaissance du rail
(André Périé et Georges Chaperot, commentaire).
1950 :
Deported
(Robert Siodmak). 1951 :
Casque
d’Or
(Jacques Becker).
Le
Plaisir – sk. Le Masque
(Max Ophuls). 1952 :
Adorables
Créatures
(Christian-Jaque,
commentaire).
Avril
à Paris/April in Paris
(David Butler).
Le
Duel à travers les âges
(Pierre Foucaud, CM, commentaire).
Le
Petit Garçon perdu/ Little Boy Lost
(George Seaton).
Week-end
à Paris/Innocents in Paris
(Gordon Parry). 1953 :
Le
Fantôme de la rue Morgue/Phantom of the Rue Morgue
(Roy Del Ruth).
Les
3 Mousquetaires
(André Hunebelle, commentaire).
1954 :
Boulevards
de Paris/Bedevilled
(Mitchell Leisen, n’apparaît
pas dans les copies actuellement visibles).
Les
Clandestines
(Raoul André). 1955 :
Les
Mauvaises Rencontres
(Alexandre
Astruc). 1956 :
Mon
coquin de père
(Georges Lacombe).
Paris
Palace Hôtel
(Henri
Verneuil, commentaire).
1957 :
Un
Américain bien tranquille/The Quiet American
(Joseph
L. Mankiewicz). 1958 :
Passeport
pour le monde
(Victor Stoloff, commentaire).
Pourquoi
viens-tu si tard ?
(Henri Decoin). 1960 :
Le
Gant
(Vicky
Ivernel, CM).
Traitement
de choc/The Full Treatment
(Val Guest). 1961 :
La
Belle des îles/Tiara Tahiti
(Ted Kotcheff). 1962 :
Le
Diable et les Dix Commandements – sk. Luxurieux point ne seras
(Julien Duvivier). 1963 :
La
Bonne Soupe
(Robert Thomas).
La
Rancune/The Visit
(Bernhard Wicki).
Symphonie
pour un massacre
(Jacques Deray). 1964 :
Compartiment
Tueurs
(Costa-Gavras). Lady
L/idem
(Peter Ustinov). 1965 : Paris
brûle-t-il ?
(René Clément). 1966 :
Grand
Prix/idem
(John Frankenheimer).
Le
Tigre sort sans sa mère/Da Berlino l’apocalisse/Heisses Pflaster
für Spione
(Mario Maffei).
Voyage
à deux/Two for the Road
(Stanley Donen). 1967 :
Adolphe
ou l’Âge tendre
(Bernard Toublanc-Michel).
Barbarella
(Roger Vadim).
Lamiel
(Jean Aurel).
L’Une
et l’Autre
(René Allio). 1968 :
Comme
un éclair
(Jules Dassin, commentaire).
La
Folle de Chaillot/The Madwoman of Chaillot (Bryan Forbes). Hard
Contract
(S. Lee Pogostin). 1971 : Églantine
(Jean-Claude Brialy). 1972 :
Au
rendez-vous de la Mort joyeuse
(Juan Buñuel/Juan Luis Buñuel).
Nous
voulons les colonels/Vogliamo i colonnelli
(Mario Monicelli).
La
Plus Belle Soirée de ma vie/La più bella serata della mia vita
(Ettore Scola). 1974 :
L’important
c’est d’aimer
(Andrzej
Zulaswki).
Rosebud/idem
(Otto Preminger). 1975 :
La
Course à l’échalote
(Claude Zidi).
El
anacoreta
(Juan Estelrich).
Le
Locataire
(Roman Polanski). 1976 :
Mado
(Claude Sautet). 1977 :
Le
Point de mire
(Jean-Claude Tramont).
La
Vie devant soi
(Moshe Mizrahi). 1978 :
Le
Pion
(Christian Gion).
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