De
récitals intimistes en concerts à guichets fermés, Marie France a
su s’imposer, depuis le début des années 90, comme l’interprète
féminine la plus résolument inspirée et la plus furieusement
éclectique du paysage musical français dans les catégories
"pop-rock-variétés-chansons à texte".
Après avoir réconcilié les genres a priori les moins faits
pour s’entendre (quel point commun entre les orchestrations chic d’Un
homme à votre goût ou L’Amour avec des gants, les
arrangements nerveux de Chez moi à Paris et les guitares
saturées de Cracher ma bile ?), là où son exactement
contemporaine Sheila cachetonne dans des tournées de
sexagénaires-et-plus pour sexagénaires-et-plus, tandis que
Véronique Sanson préfère célébrer en live l’urgence de péter
et la nécessité de chier (sinon elle va mourir, cf. Youtube…),
Marie France a rendu tout au long de l’année écoulée un hommage
mérité à la Brigitte Bardot qu’on aime – celle qui chantait
(délicieusement), tournait des films (souvent formidables) et ne
trouvait pas encore (regrets éternels) Jean-Marie Le Pen
"charmant et bien élevé", en bref celle que
Laetitia Casta vient de ressusciter épatement dans le film
français le plus captivant du moment…
S’appropriant
un répertoire bien plus riche et passionnant que ne le laissaient
supposer d’hasardeuses (et passablement creuses) reprises à la
sauce TF1/Endemol/Universal de La Madrague ou Harley Davidson par de
très formatées cruches généralement blondes, c’est bien à une
revisite en règle de dix-huit ou vingt pépites estampillées BB,
que s’est livrée, entre mai et décembre, d’Archipel(s)
blindés en Trois Baudets pleins à craquer, la toujours jeune,
toujours juste et toujours formidable Marie France, dont le moindre
mérite n’est pas, ce faisant, d’avoir privilégié à de rares
exceptions près les titres les moins connus d’une discographie
bluffante jusque dans son étonnante modernité et son élégance
hors pair. Car c’est bien et avant tout d’élégance qu’il s’agit
ici : nos grands-mères, les mêmes qui n’aimaient pas beaucoup
Gainsbourg (trop laid, trop sale, trop mal rasé, trop provocateur)
non plus, disaient volontiers Bardot vulgaire (les connes…), trop
occupées à célébrer d’une voix unanime Mireille Mathieu ou les
Compagnons de la Chanson pour soupçonner un seul instant qu’Une
histoire de plage et Je reviendrai toujours vers toi comptaient
déjà à l’époque parmi les huit ou dix plus belles – et
probablement les plus pudiques – chansons d’amour jamais
interprétées en langue française.
C’est dire qu’en cette
année Tamiflu ® où l’on a beaucoup, mal et certainement trop
vacciné, à quel point la piqûre de rappel imaginée par Marie
France au printemps dernier s’avérait indispensable, qui a refait
rimer Mélanie avec Sidonie et vu, concert après
concert, la belle noyée de Faite pour dormir veiller sans
trêve sur le sommeil des Hommes endormis, en une revisite
évoquant bien moins le timbre bien connu de l’interprète de La
Vérité ou d’En cas de malheur que la caresse vocale d’une
Billie Holiday. Rien de moins. Si on ajoute à cela le fait que
Marie France a été la première, et donc la seule, à s’être
attaquée au répertoire chanté de Bardot dans sa globalité et à
l’avoir fait sans céder un instant à la tentation de singer l’original,
jouant l’atout maître de la fluidité là où d’autres, moins
inspirées, auraient spontanément mis trois consonnes aux endroits
même où Bardot en posait d’office deux, on comprendra aisément
l’engouement tant critique que public suscité par la série de
concerts-hommages baladés six mois durant d’Archipel en
Trois-Baudets, en passant par un Beaubourg archi-comble. Et,
partant, la nécessité (avec un "u", comme
"urgence") de se procurer toutes affaires
cessantes le CD 17 titres sorti le 2 décembre dernier et reprenant
l’essentiel des chansons du récital, augmenté d’un Bonnie
and Clyde interprété en duo, plutôt magistralement, avec un
talentueux Aurélien Wiik. Pour cette seule raison, et aussi pour la
pochette estampillée Pierre & Gilles, on préférera, est-il
besoin de le préciser, la version "physique"
de l’album – à celle, un chouia moins onéreuse mais censément
moins chic, proposée par les plates-formes de téléchargement
légal (ou pas). Comme un avant-goût des prochaines dates, pas
encore posées à ce jour, ou même (soyons fous) de l’enregistrement
public qui, dans un monde rêvé, conserverait la trace pérenne des
revisites toutes marie-franciennes de La Belle et le Blues, d’Oh !
Qu’il est vilain et du sublime prologue parlé ouvrant, on se
le rappelle, le non moins sublime Mépris. AdL. |