Tandis que nos camarades tunisiens et égyptiens nous
apportent sur un plateau la preuve par neuf qu’il est parfaitement
possible, avec un peu (beaucoup) de bonne volonté, de virer des
chefs d’État incompétents en l’espace de quelques semaines,
pendant que Patrick Poivre d’Arvor et Michèle Alliot-Marie
rivalisent à seule fin de savoir lequel ou laquelle des deux
parviendra à se débarrasser enfin de son écharde dans le pied –
ou de sa valise pleine d’enclumes, c’est selon, – sur
l’explication la plus tirée par les cheveux, et que TF1 – la
chaîne dont le fils de Jean-Pierre Castaldi et Catherine Allégret
est depuis hier soir l’animateur le plus érudit – nous martèle
en boucle que Marthe Mercadier (on achève bien les chevaux) est une
star (!!), la marchande de verres Atoll Adriana Karambeu aussi et le
néo-philosophe André Manoukian pareillement, nous commençons à
nous dire, à L’@ide-Mémoire,
que la vie, la vraie, pourrait bien être ailleurs. En Tunisie,
donc, en Égypte, peut-être bientôt en Algérie, et – pour ceux
qui, un peu comme nous, n’ont pas la carte permettant de parcourir
le Nord de l’Afrique en jet privé – entre les pages d’un
livre de Philippe Azoury (À
Werner Schroeter qui n’avait pas peur de la mort, Capricci,
2010) à offrir à tous ses amis ou via une plongée en apnée dans
l’œuvre filmée de Jacques Baratier, telle qu’on peut la redécouvrir
en ce moment, au choix, dans les fauteuils de la Cinémathèque française
ou sur CinéClassics.
Quasiment invisible depuis un demi-siècle, La
Poupée (Baratier, 1961), brûlot chic et abrasif, n’a pas
pris une ride, porté de bout en bout par la folie géniale de ses
interprètes. De l’ancienne meneuse de revue américaine Sonne
Teal au Polonais Zbigniew Cybulski, bien plus passionnant que dans
les pensums estampillés Wajda, de Daniel Émilfork à Gabriel
Jabbour, de László Szabó à Sacha Pitoëff, du vétéran Roger
Karl à l’éphémère Catherine Milinaire, du futur rollien Jean
Aron, savant fou obnubilé par l’idée de pénétrer les femmes
« par l’intérieur » à Jacques Dufilho, distribué en
servante inca parfaitement allumée mais suffisamment organisée
pour débiter à la louche des litanies idiotes tout en écossant un
plein panier de haricots verts, les uns et les autres s’intègrent
sans exception aucune à ce ballet filmé aux allures de jeu de
massacre renvoyant dos à dos dictatures militaires et démocraties
de façade (on y revient) entre deux chansons de Catherine Sauvage.
C’est kitsch et bigarré, comme Zazie
dans le métro, tourné l’année précédente, mais c’est
surtout beaucoup plus subversif et beaucoup plus couillu dans le
propos, bien plus intelligent, drôle et passionnant sur la forme.
Quoi d’autre ?
Patrick Brion étrenne le nouveau cycle du Cinéma
de Minuit en programmant, pas plus tard que demain
soir, l’une des comédies les plus réussies, les plus réjouissantes
et les plus secrètement gay
friendly jamais tournées dans la France de
l’entre-deux-guerres. Réalisé par un petit maître – Léonide
Moguy – sur un argument d’Yves Mirande inspiré par les
scandales politico-économiques (tiens, tiens) du moment, ce Baccara
millésimé 1935 offre leurs meilleurs rôles à l’écran, et
probablement aussi les plus subtils, à ses deux protagonistes mâles,
Lucien Baroux et Jules Berry, et ce n’est pas son moindre mérite.
Les inconditionnels du solide Marcel André, du singulier Georges
Bever, de la truculente Palmyre Levasseur et de la sensible Marcelle
Chantal (bien plus jeune, belle et rayonnante – à emploi égal
d’héroïne d’affaire d’État mêlant hautes instances et
haute finance – que la déclinante et un peu sûrie Liliane B.),
seront comblés, ceux dont le graveur de salon est en panne pourront
se rattraper sur l’édition René
Chateau, et quant à nous, nous prendrons
(provisoirement) congé en souhaitant bon vent et longue route à la
nouvelle formule du Coin
du Cinéphage, lancée il y a quelques heures à
peine par l’ami Christian Leciagueçahar. C’est-y pas chic, tout
ça ?
Sur ce, vodka-pamplemousse pour les uns, tequila
sunrise pour les autres, Champagne rosé pour l’inégalable-inoxydable
Marie France qui vient de célébrer ses 65 printemps sous les ors
du Sénat, et bourre-cochon pour les pauvres malheureux dont
l’horizon artistique se limite au danseur star Jean-Marie Bigard,
à la « jeune femme » (l) préférée des Français
Mimie Mathy ou au prochain DVD d’Enfoirés parfois (pas tous)
doublés d’expatriés fiscaux notoires. Pour nous, ce sera donc
vodka-pamplemousse, tequila sunrise et
Champagne rosé. Bon week-end !!
Armel de Lorme |