De
toutes les comédiennes de sa génération, Sylvie Joly reste
probablement l’une des rares, avec Stéphane Audran, à pouvoir
supporter la comparaison avec les grandes excentriques de l’Âge
d’or du Cinéma français : c’est peut-être cela qui a
poussé Mocky à les utiliser en binôme dans Les Saisons du plaisir, nymphettes sur le retour draguant de concert
tout ce qui porte un pantalon entre deux visionnages de vidéos
cochonnes. Flashback : née à Paris en octobre 1934, la Joly, comme on ne l’appelle pas encore, aurait dû, en toute état
de cause (son père était officier de marine), épouser un
polytechnicien et n’embrasser d’autre carrière que celle de
femme au foyer. Au lieu de quoi elle s’essaie un temps au Barreau,
ne persévère pas, et déserte les prétoires pour suivre
l’enseignement de Mireille (articulez,
mon petit), de René Simon et surtout de Tania Balachova, sous
la direction de laquelle elle effectue, dans la foulée, ses
premiers pas sur les planches (La
Matinée d’un homme de lettres, Anton Tchekhov). Dès le début
des Seventies, elle s’impose, de moitié avec Zouc, comme la
grande prêtresse du one woman
show à la française, en même temps qu’elle bouleverse les règles
du genre : Sylvie Foly. Les cinéastes des années 70 ne s’y
trompent pas, à commencer par Jean Herman qui lui fait effectuer,
passante entreprise par Guy Bedos, ses débuts officiels à l’écran
(L’Œuf, 1971), François
Leterrier qui la pacse avec Laurence Badie (!) le temps d’un film
(Va voir Maman… Papa
travaille, 1977), Nicole de Buron qui lui confie une directrice
d’écoles fatiguée face à une Annie Girardot (trop) pleine d’énergie
(Vas-y Maman, 1978).
Bertrand Blier, auteur à part entière mais directeur d’acteurs
souvent laxiste, sait quant à lui tirer un parti exceptionnel de sa
savoureuse gaillardise : grande bourgeoise découvrant éberluée
le vol de sa voiture au sortir d’un restaurant de luxe (Les
Valseuses, 1973), médecin-chef d’un insolite laboratoire médical
où les mâles servent au choix de cobayes ou d’étalons (Calmos, 1975), elle effectue dans Préparez vos mouchoirs (1977), passante « réquisitionnée »
par Gérard Depardieu aux abords d’une brasserie pour donner son
avis sur les choses de l’amour, la composition la plus riche de
toute sa carrière. Les films se suivant mais ne se ressemblant pas
toujours, il y a du bon et du moins bon (Poiré, Jackson) dans son
CV cinéma. Mais comme, à l’instar de Pauline (Carton), Suzanne
(Dehelly), Alice (Tissot), Marguerite (Pierry) ou Jeanne
(Fusier-Gir) quelques décennies plus tôt, elle fait partie des comédiennes
capables de conférer, le temps d’une séquence ou deux, un cachet
salutaire au nanar le plus poussif (Les
Couloirs du Temps, Jean-Marie Poiré, 1997), à la farce la plus
indigeste (Ma femme…
s’appelle Maurice, Jean-Marie Poiré, 2001), au blockbuster le
plus téléphoné (Les Dalton, Philippe Haïm, 2003), valeur sûre que l’on demande
et redemande, avec l’absolue certitude qu’elle fera mouche à
tous les coups. Le meilleur est, l’on s’en doute, à chercher du
côté de Mocky, dont elle devient, au milieu des années 80,
l’interprète de prédilection, tour à tour bourgeoise bigote,
soupçonneuse et moustachue (Le
Miraculé, 1986), confidente dessalée de Catherine Deneuve (Agent
trouble, 1987), nymphomane impénitente faisant virer, par ses
assauts répétés, leur cuti à Richard Bohringer et Bernard Menez
(Les Saisons du plaisir,
id.). Ne manquait plus dès lors à son palmarès qu’un grand rôle
tout en demi-teintes, à la limite du contre-emploi : c’est
chose faite depuis Ça ira
mieux demain (1999), qui la voit composer sous la direction
efficace de Jeanne Labrune une directrice de galerie d’art au bout
du rouleau. Il faut une authentique grandeur pour pouvoir faire rire
le spectateur en expliquant à un psy de cinéma qu’on a complètement
raté sa vie : ce challenge remporté haut la main par une
Sylvie Joly en (très) grande forme, ne reste plus qu’à lui
souhaiter, pour la suite, qu’un ou deux rôles de mégères à la
Jane Marken, bien que sa prédilection aille, de son propre aveu,
plutôt du côté de… Mae West. Dans les deux cas, elle le vaut
bien ! ADL
Version remaniée du
portrait publié dans L’@ide-Mémoire
– Encyclopédie des Comédiens français & francophones de Cinéma,
Théâtre & Télévision (Volume 1), 2006 © Armel de Lorme |