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ENCYCLOPÉDIE DU CINÉMA FRANÇAIS

 

 

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Hommages
 

 

Martine Sarcey

Photo extraite du film Un éléphant, ça trompe énormément (Yves Robert, 1976)

Véritable nom : Martine Rouchaud.

Née à Paris (16ème) le 28 septembre 1928.

Divorcée de Maurice Joseph Louis Cazeneuve, dit Maurice Cazeneuve.

Décédée à Paris le 11 juin 2010.

Les obsèques de Martine Sarcey seront célébrées au funérarium du Père Lachaise le jeudi 17 juin à 10h45.

Arrière-petite-fille du célèbre critique théâtral Francisque Sarcey, nièce, par ce dernier, de Pierre Brisson, longtemps directeur du Figaro, elle-même fille de la journaliste Françoise Rouchaud (pilier du quotidien Le Journal, disparu au début de la Seconde Guerre mondiale), compagne durant vingt-cinq ans et jusqu’à sa disparition de l’acteur et metteur en scène surinspiré Michel de Ré (lui, descendant en ligne directe du général Gallieni), on ne sera pas surpris que Martine Sarcey, ex-élève du cours Maurice Escande puis du Conservatoire National d’Art dramatique 1, ait effectué l’essentiel de sa carrière sur les planches, où elle n’a pour ainsi dire jamais cessé de s’illustrer. Précoce dans sa vocation (Petites, nous rejouions avec ma sœur cadette tous les films de Shirley Temple : comme j’étais l’aînée, et déjà la vedette (rires), je m’attribuais systématiquement les rôles de Shirley, tandis que ma sœur héritait en vrac de tous les autres personnages 2), elle se forge, avec l’adolescence, de nouveaux modèles (Danielle Darrieux et Michèle Morgan, l’une et l’autre ses futures partenaires de Méfiez-vous, Mesdames), tout en reconnaissant volontiers que c’est Suzanne Flon qui lui a fourni sur le tard, tant artistiquement qu’humainement, son modèle le plus durable (De la première pièce que nous avons jouée ensemble, à l’aube des années 80, au matin de sa disparition, elle n’a jamais cessé d’être mon phare, mon point de repère).

En attendant cette rencontre décisive, au final l’une des plus belles de son existence, c’est dans Jeanne et ses juges de Thierry Maulnier, que la jeune Martine effectue ses débuts sur les planches, à l’aube des années 50. Jacqueline Morane et Marcelle Tassencourt, la future directrice du Théâtre-Montansier, se partageaient le rôle de Jeanne d’Arc, tandis que Nicole Maurey et moi interprétions respectivement sainte Marguerite et sainte Catherine, perchées sur un praticable haut de sept mètres dominant le parvis de la Cathédrale de Rouen. Tout en donnant nos répliques, nous tenions " par les ailes " le comédien belge, soudain pris de vertige, qui jouait l’ange Gabriel. Cela fait partie des souvenirs de théâtre qui vous marquent à vie. La mise en scène, assez spectaculaire pour l’époque, était de Maurice Cazeneuve, que j’ai épousé peu après et qui est devenu le père de mon fils. C’est seulement quelques années plus tard que j’ai rencontré Michel de Ré, que j’ai rapidement suivi dans les théâtres et les cabarets de la rive Gauche. Vers la même époque, probablement recommandée par sa tante, la comédienne Yolande Laffon (à la ville, l’épouse de Pierre Brisson), Martine Sarcey entame une carrière cinématographique aussi riche que variée, mais qui, en dépit de débuts prometteurs, ne décollera véritablement qu’aux abords de la quarantaine. Tour à tour " jeune fille timide aux longs cheveux " noyée parmi les célibataires des deux sexes hantant les couloirs de l’Agence matrimoniale de Jean-Paul Le Chanois (1951) et terrorisée à l’idée de donner la réplique, pour ses débuts à l’écran, à Bernard Blier (Il avait une réputation épouvantable dans le métier, totalement injustifiée du reste, mais il a toujours été adorable avec moi, tant sur le tournage du film de Le Chanois que lorsque nous avons joué ensemble, bien plus tard, L’Homme en question de Félicien Marceau à l’Atelier), carmélite dont le parcours initiatique croise celui de Thérèse Martin (Procès au Vatican, André Haguet, 1951), Nymphe d’opérette en peplos et cothurnes (Les Intrigantes, Henri Decoin, 1954), jeune aristocrate tombant en pâmoison en apprenant que celui qu’elle aime est irrémédiablement défiguré (Nez de Cuir, gentilhomme d’amour, Yves Allégret, 1951) ou fréquentant avec assiduité la cour de Marie-Antoinette, reine de France 3 (Jean Delannoy, 1955), le septième art ne conservera in fine que des images fugitives de la jeune première qu’elle fut à ses débuts. À une exception près : en 1956, Jean Stelli, cinéaste de prestige (Le Voile bleu) fraîchement reconverti dans la série B policière, met en chantier le premier volet d’une série de bandes d’espionnage qui en comportera quatre, tournées à raison d’une par an jusqu’en 1959. Dans cette Alerte au Deuxième Bureau, coécrite avec Jean Kerchner, Martine Sarcey, déjà magnifique, prête ses traits à Hélène, redoutable aventurière tentant de faire tomber dans ses rets Geneviève Kervine et Frank Villard. Le film vaut ce qu’il vaut, c’est à dire pas grand chose, mais offre à la jeune comédienne le premier contre-emploi cinématographique de sa carrière, en même temps qu’un rôle de tout premier plan.

Pourtant, six années suivront qui la verront se consacrer exclusivement aux planches, avant que la quarantaine approchante ne lui permette d’aligner au grand écran une succession de rôles impeccablement tenus : bourgeoise 1900 oscillant entre obsession des convenances et attirance pour un Jean-Paul Belmondo au sommet de sa séduction (Le Voleur, Louis Malle, 1966), châtelaine réduite aux besognes les plus viles par un mari mi-hobereau ruiné, mi-tyran domestique (Clérambard, Yves Robert, 1969), elle est, dans le même temps, et à deux reprises, la mère de cinéma du débutant Renaud Verley (La Leçon particulière, 1968 ; Du soleil plein les yeux, Michel Boisrond, 1969 4). S’encanaillant pourtant aux approches de la cinquantaine, elle se dore au soleil des plages algériennes (en fait corses !) avant d’aller danser, avec une belle sensualité, parmi les convives de Certaines Nouvelles 5 (Jacques Davila, 1976), fume le cigare et " lève " comme un seul homme – mais pour une seule nuit – Victor Lanoux lors d’une fête estivale (Un moment d’égarement, Claude Berri, 1977), se fait lutiner sans rougir plus que de raison tout au long de La Vie parisienne d’Offenbach, Meilhac et Halévy revue par Christian-Jaque (1977) et s’offre, étendue sur un lit, les services tarifés d’un Mocky portant encore beau (Un linceul n’a pas de poches, Jean-Pierre Mocky, 1974), lorsque, secrétaire de direction susceptible et dédaignée, elle ne raye pas d’un trousseau de clefs vengeur la voiture flambant neuve du volage Jean Rochefort (Un éléphant, ça trompe énormément, Yves Robert, 1976). La respectabilité, pourtant, lui va tout aussi bien, qui lui permet de séduire, par sa douce réserve empreinte d’autorité tranquille, les jeunes pensionnaires de L’Hôtel de la Plage (Michel Lang, 1977) ou de diriger entre poigne de fer et gant de velours le collège de banlieue de P.R.O.F.S. (Patrick Schulmann, 1985), quand elle n’interprète pas, pour le petit écran, reines et impératrices, tour à tour épouse de Napoléon III (Les Folies Offenbach, Michel Boisrond, 1977) et veuve de Louis XIII (Mazarin, Pierre Cardinal, 1978 6). Ce, comme de juste, sans déserter un seul instant les planches. Créatrice de La Tour Eiffel qui tue aux côtés de Michel de Ré, plus tard interprète la première pièce de Françoise Dorin (Comme au théâtre, Michodière, 1967), les paris les plus difficiles ne la rebutent pas : c’est ainsi qu’elle reprend, au début des années 70, les différents rôles interprétés, peu auparavant, par Delphine Seyrig dans un montage de nouvelles de Gabriel Arout mis en scène par Claude Régy, avant d’oser le contre-emploi en acceptant les rôles de bourgeoises au cœur sec que lui confie Loleh Bellon. Après Le Cœur sur la main (Studio des Champs-Élysées, 1981), qui voit naître l’amitié qui la liera, 25 années durant, à Suzanne Flon, elle retrouve cette dernière sur Une absence, œuvre superbe et triomphe prolongé pour les deux comédiennes comme pour leurs partenaires, Catherine Rouvel, Véronique Silver et Étienne Chicot (Bouffes-Parisiens, 1988-1990).

Au vu d’un tel palmarès, on en oublierait presque que l’actrice a longtemps compté parmi les comédiennes de doublage les plus prisées de sa génération, ayant prêté successivement sa voix à Maria Schell (Gervaise), Audrey Hepburn (My Fair Lady), Ulla Jacobson (Crime et Châtiment), Shirley Mac Laine, Joanne Woodward, Vanessa Redgrave, Stefania Sandrelli, et surtout, de façon plus durable, à Elizabeth Montgomery. Comme Daniel Crouet (Jean-Pierre) et Lita Recio (Endora), Martine Sarcey est pour beaucoup dans le succès, en France, de Ma sorcière bien-aimée, Samantha au nez souple et mutin dont on retrouve parfois les inflexions en écoutant parler les vieilles dames à cheveux tantôt gris, tantôt blancs, que lui confient encore, avec parcimonie hélas, petit (Dolmen, Didier Albert, 2004) et grand (La Maladie de Sachs 7, Michel Deville, 1999 ; L’Équipier, Philippe Lioret, 2003) écrans. N’empêche : force est de reconnaître que si elle a longtemps été l’incarnation parfaite, tant sur les planches qu’à l’écran, du " charme discret de la bourgeoisie " décliné au féminin, Martine Sarcey est en passe de s’affirmer, de contre-emplois habiles en contre-emplois subtils, comme l’une des meilleures comédiennes de composition de sa génération, capable de mettre son talent au service des pires idiotes (L’Inscription, Gérard Sibleyras, Petit Théâtre Montparnasse, 2003) avec l’intelligence, l’humour et la grande probité qui la caractérisent. Ce qui n’a échappé ni à Lioret (Il avait sa " musique ", une volonté de sa part d’entendre dire les répliques de façon extrêmement simple et dépouillée, et par chance, ma musique à moi était conforme à la sienne, donc ça a tout de suite collé), ni au surdoué Philippe Calvario, son très inspiré metteur en scène de Richard III (Philippe m’a confié m’avoir vue, alors qu’il était encore très jeune, dans une rediffusion de La Porteuse de pain de Marcel Camus 8 et s’être alors promis qu’il me ferait un jour travailler : cela fait partie des plus beaux " cadeaux " que m’a valu la Porteuse, bien qu’en l’occurrence, plus de trente ans se soient écoulés, pour moi, entre les rôles de Jeanne Fortier et de la duchesse d’York. Preuve vivante, si besoin est, que les plus belles carrières se font souvent, sinon toujours, en marge du star system, Martine Sarcey fait partie, comme Claude Winter ou Nicole Courcel, elle aussi récemment passée sur le tard de l’infinie tendresse aux contre-emplois les plus abrupts (Milady, Josée Dayan, 2004), de ces artistes éminemment rares dont on ne sait jamais très bien s’il faut louer en priorité l’éclectisme, le professionnalisme, la simplicité ou tout simplement l’amour, jamais démenti, d’un métier toujours servi au mieux. D’ailleurs, pourquoi choisir ? ADL

Extrait de L’@ide-Mémoire, Encylopédie des Comédiens de Théâtre, Cinéma et Télévision – Volume 1, 2006. © Armel de Lorme / L’@ide-Mémoire.

1. Sortie du Conservatoire National d’Art dramatique en 1950, où elle avait intégré la classe de Béatrix Dussane deux ans auparavant, Martine Sarcey y faisait partie de la même promotion que Nicole Besnard, Madeleine Callergis, Michel Galabru, André Julien, Jean Leuvrais, Jean Pignol, Mony Rey, Jean-Paul Roussillon et Magali de Vendeuil. (Source : www.rueduconservatoire.fr).

2. Propos recueillis par téléphone le 1er février 2006.

3. Elle retrouvera les tentures et les ors versaillais quelques quarante années plus tard en silhouettant l’une des innombrables dames de Cour peuplant le Jefferson à Paris de James Ivory (1994).

4. Du soleil plein les yeux, où elle a pour époux le journaliste Jean Ferniot, la gratifie en outre d’un second (grand) fils en la personne du débutant Bernard Le Coq.

5. Elle y est à la fois la meilleure amie de Micheline Presle, l’épouse de Gérard Hernandez et la mère… d’Anémone.

6. Dans un registre équivalent, elle a également prêté ses traits à la baronne Haussman de Rendez-Vous à Bray (André Delvaux, 1971).

7. Dans ce qui reste la dernière grande réussite en date de Michel Deville (mais le roman adapté y était pour beaucoup), et accessoirement son titre préféré au sein d’une filmographie à la fois copieuse et prestigieuse, elle composait avec une sobriété exemplaire le personnage de Mme Destouches, vieille paysanne confrontée au quotidien à la violence de son fils alcoolique.

8. Le premier des treize épisodes de 26 mn chacun de La Porteuse de pain – au cours duquel Martine Sarcey interprétait magnifiquement Le Temps des cerises – a été diffusé sur la 3ème chaîne de l’ORTF le 16 janvier 1973, l’intégralité du feuilleton ayant été reprise sur Antenne 2 en juillet/août 1982. Le générique rassemblait notamment Sim, Philippe Léotard, Henri Marteau, Jacques Monod et le dessinateur Dadzu, ainsi que les jeunes Bernard Alane, Bernard Giraudeau, Carole Laure et Laurence Vincendon.

© Adrien CAPITAINE (D.R.)

FILMOGRAPHIE CINÉMA :

1951 : Agence matrimoniale (Jean-Paul Le Chanois). Nez de Cuir, gentilhomme d’amour/Nez de Cuir (Yves Allégret). Procès au Vatican (André Haguet). 1954 : Les Intrigantes (Henri Decoin). 1955 : Marie-Antoinette, reine de France/ Marie-Antoinette (Jean Delannoy). 1956 : Alerte au Deuxième Bureau (Jean Stelli). 1963 : Méfiez-vous, Mesdames (André Hunebelle). 1964 : Fifi La Plume/L’Ange (Albert Lamorisse, Henri Gruel et Georges Goetz). 1966 : Le Voleur (Louis Malle). 1968 : La Leçon particulière (Michel Boisrond). Salut Berthe ! (Guy Lefranc). 1969 : Clérambard (Yves Robert). Du soleil plein les yeux (Michel Boisrond). 1970 : Aussi loin que l’amour (Frédéric Rossif). 1971 : L’Homme au cerveau greffé (Jacques Doniol-Valcroze). Rendez-vous à Bray (André Delvaux). 1974 : Les murs ont des oreilles (Jean Girault). Un linceul n’a pas de poches (Jean-Pierre Mocky). 1976 : Certaines Nouvelles (Jacques Davila). Un éléphant, ça trompe énormément (Yves Robert). 1977 : L’Hôtel de la Plage (Michel Lang). La Preuve par six – sk. Anatole (Armando Bernardi). Un moment d’égarement (Claude Berri). La Vie parisienne (Christian-Jaque). 1978 : Trocadéro bleu citron (Michaël Schock). 1979 : Ciao les mecs ! (Sergio Gobbi). Deux Lions au soleil (Claude Faraldo). 1985 : P.R.O.F.S. (Patrick Schulmann). 1986 : États d’âme (Jacques Fansten). 1987 : La Maison assassinée (Georges Lautner). 1993 : Dernier Stade (Christian Zerbib). 1994 : Jefferson à Paris/Jefferson in Paris (James Ivory). 1999 : La Maladie de Sachs (Michel Deville). 2001 : Une belle journée (Frédérique Dolphyn, CM). 2002 : Au milieu de la nuit (Gaëlle Baron, CM). 2003 : L’Équipier (Philippe Lioret). Un 14 juillet (Nathalie Saugeon, CM). 2006 : Le Chant de la baleine (Catherine Bernstein, CM). 2007 : Humeurs et Rumeurs (Paul Vecchiali, CM). 2008 : Millefeuille (Christian Sonderegger, CM).

LIEN VIDÉO :

www.dailymotion.com/video/x63wzu_bewitched-pilote-ma-sorciere-bien-a_shortfilms (Épisode pilote – colorisé – de Ma sorcière bien-aimée, doublé par Martine Sarcey, Daniel Crouet et Lita Recio).

www.imineo.com/hotel-plage-michel-lang/472/extrait-gratuit-7859.htm (L’Hôtel de la Plage, Michel Lang, 1977 : bande-annonce).

www.ina.fr/media/entretiens/video/I04211533/suzanne-flon-le-coeur-sur-la-main.fr.html (Suzanne Flon et Martine Sarcey évoquent de conserve la pièce de Loleh Bellon Le Cœur sur la main, 1981).

© Armel de Lorme