D isparition,
dans sa 77ème année, du comédien Pierre Maguelon,
victime d’une hémorragie cérébrale survenue alors même qu’il
participait au Festival de Théâtre de Saint-André
(Pyrénées-Orientales) dont il était l’invité d'honneur. Too
bad. Natif du Tarn, l’acteur
avait entamé une longue et prolifique carrière à la fin des
années 50, sous le pseudonyme de Petit-Bobo, conservé jusqu’au
milieu de la décennie suivante. Rapidement passé du cabaret –
où il se liera d’amitié avec un autre Méridional à moustache,
le Sétois Georges Brassens, dont il assurera en outre les
premières parties – au studio, Pierre Maguelon, archétype de l’acteur
toujours impeccable, se sera illustré au final dans une
cinquantaine de petits rôles au grand écran, enchaînant sans
lasser les Français moyens tantôt débonnaires, tantôt obtus,
parfois les deux à la fois…
Lancé
au grand écran par Truffaut, de Givray, de Broca et surtout Étaix
(on peut rêver pire…), aperçu chez Cavalier, apprécié de
Korber, demandé et redemandé par Yves Robert et Claude Sautet, c’est
au choix l’ami compatissant recueillant sans bâiller les
confidences amoureuses d’un copain en plein désarroi (Le
Téléphone rose, Édouard Molinaro, 1975) et le terrifiant
contremaître d’usine bouffant à longueur de journée, sans
jamais se poser de question, du crouille et du bicot (sic), guerre d’Algérie
oblige (Élise ou la Vraie Vie, Michel Drach, 1969). Prolo
idéal, il hante avec la même jovialité le restaurant populeux du Tracassin
ou les Plaisirs de la ville (Alex Joffé, 1961), la cour d’immeuble
et le bistrot de quartier de Domicile conjugal (François
Truffaut, 1970) et les fêtes champêtres de ce Pays bleu
(Jean-Charles Tacchella, 1976) dans lequel, marié à Dora Doll et
gratifié par elle d’une abondante progéniture, il fait office d’agriculteur
" du cru ", mais n’en néglige pas pour autant
la fréquentation intensive des commissariats où l’on moleste le
suspect : restaurateur chez les uns, ouvrier chez les autres, c’est
en définitive dans les emplois de flic, du planton borné (Les
Assassins de l’Ordre, Marcel Carné, 1970) au gradé persuadé
d’avoir raison en tout quoi qu’il advienne (Comme un
boomerang, José Giovanni, 1976 ; Le Pull-over rouge,
Michel Drach, 1979), qu’on finit toujours par le retrouver. Le
grand Buñuel ne l’imagine pas autrement, qui l’établit tour à
tour caporal de la Garde civile espagnole (La Voie lactée,
1968) et brigadier sanglant/sanguinolent (Le Charme discret de la
bourgeoisie, 1972), avant de le rétrograder sans crier gare –
sacré Don Luis ! – au rang de simple pandore tour à tour
crétin, concon et hébété pour ne pas dire parfaitement idiot (Le
Fantôme de la Liberté, 1974). De façon assez cocasse, c’est
l’année même du tournage de son troisième et dernier Buñuel
que Pierre Maguelon se voit choisi pour camper, aux côtés de
Jean-Claude Bouillon et de Pierre Maguelon, le Marcel Terrasson
couillon, finaud et sympathique, des six saisons – réparties sur
une décennie entière – des Brigades du Tigre de Claude
Desailly et Victor Vicas, dont le succès ne fut pas pour rien dans
son immense (et somme toute tardive) popularité. Époque bénie où
les premiers flics cathodiques de France n’étaient pas
interprétés au choix, merci TF1, par de vieilles gloires aigries
et suffisantes (leurs carrières, en revanche, nettement moins…)
rescapées d’un souvent désastreux cinéma de papa et unaniment
détestées de la profession, d’anciens taulards à (trop) forte
mâchoire ou d’ex-mannequins jambon délicieusement vulgaires mais
démesurément fessu(e)s. Laissant à d’autres, bien moins
subtils, le soin de prendre le relais, Pierre Maguelon, rendu à la
vie civile au mitan des années 80, devait quant à lui continuer à
fréquenter assidument le gratin du cinéma français, effectuant
sans se lasser, près de deux décennies durant, d’incessants
allers-retours entre le Midi vu par Jacques Demy (Trois Places
pour le 26, 1988) et le Sud-Ouest cher à Téchiné (Alice et
Martin, 1997) comme aux frères Larrieu (Fin d’été,
id.). Sans parler des courts métrages, enchaînés dès l’aube
des années 2000, et des planches, fréquentées jusqu’au bout,
entre passion, constance et grand discernement.
Carbon de Castel-Jaloux rêvé dans l’affreux
Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau (1989), rehaussé
de plusieurs crans par sa seule présence au générique, impeccable
Fauvet d’une très surfaite Petite Voleuse (Claude Miller,
1988) marquant son retour tardif dans la galaxie Truffaut, disparu
depuis, on regrettera un peu qu’il n’ait jamais eu l’occasion
de jouer Panisse, rôle semblant avoir été écrit pour lui, mais l’on
pourra tout aussi raisonnablement imaginer qu’il sut se consoler
de cet oubli de la profession en prêtant, pour le petit écran, ses
traits au grand-père Pagnol du Temps des secrets puis du Temps
des amours (Thierry Chabert, 2006), après avoir figuré au
cinéma le François-des-Bellons du diptyque La Gloire de mon père/Le
Château de ma mère (Yves Robert, 1989). À l’heure des
comptes, des bilans et des traits que l’on tire au bas de la page,
il s’est souvent vu des palmarès bien moins éclectiques et,
partant, moins glorieux que le sien. Chapeau bas, dirait l’autre.
Et il aurait raison. |