Sale
temps pour les grandes dames. Après la disparition d’Anne
Alexandre et des nouvelles pas franchement réjouissantes de l’immense
Mila Parely, nous venons d’apprendre, via Christian
Léciagueçahar du Coin
du Cinéphage, le décès très discret d’Yvonne
Clech, comédienne hors pair et actrice hors norme, dont la classe
innée, saupoudrée d’un grain de folie salutaire, a conféré un
cachet bien réel à plus d’une comédie du dimanche soir.
Mélange assez unique en son genre de décalage et d’aristocratie,
Yvonne Clech faisait partie de ces actrices à la fois inclassables
et impeccables, capables au choix de tirer vers le haut la farce la
plus prévisible ou d’élever l’absurde cinématographique au
rang d’art majeur. Dans Zazie dans le métro (Louis Malle,
1960), film mi-chair, mi-poisson grandement surestimé, sa Veuve
Mouaque, fantasque, attachante et jamais caricaturale, faisait
oublier le jeu tout en premier degré de ses partenaires,
prisonniers du texte original, en même temps qu’elle semblait
inventer, avec quelques longueurs d’avance, les élégantes de
quarante ans au cœur de midinette chères à Jacques Demy. Avec
Claude Gensac, elle a longtemps été la partenaire idéale de Louis
de Funès, le côté volontiers planant, voire carrément à l’Ouest,
de l’une constituant le contrepoint parfait au caractère sanguin
de l’autre. Revoir Faites sauter la banque ! (Jean
Girault, 1963) ou Jo (Jean Girault, 1971), dont la séquence
la plus inoubliable la montrait dansant sur une table, beurrée
comme un Petit-Lu et Magnum largement entamé à la main. Revoir
aussi, à l’occasion, les titres plus marginaux qui lui permirent
de composer quelques-unes des grandes bourgeois
pompidolo-giscardiennes les plus réjouissantes de toute l’Histoire
du Cinéma français, fût-il bis : en vrac, l’épouse BCGB
du ministre congestionné de Q (Jean-François Davy, 1973),
finissant par jeter son bonnet aux orties et sa gourme on ne sait
où, la femme de publiciste gaffeuse et naïve – en tout cas
suffisamment pour faire passer Kelly Bochenko pour un puits de
science ou Ève Angeli pour la marquise de Merteuil – de l’ennuyeux
Au bout du bout du banc (Peter Kassovitz, 1978), la fausse
(?) Claude Pompidou de Comme une femme (Christian Dura, 1979)
allant s’encanailler dans les bouchons auvergnats en compagnie d’écrivaines
cocaïnées jusqu’à la moelle et de folles perdues ou très la
lubrique moitié de haut serviteur de la République violant Paul
Préboist dans un placard à balais au mitan de Super Flic se
déchaîne (Jean-Claude Roy, 1983), ineffable nanar. C’était
tout ça, Yvonne Clech, et un peu plus encore, de la serveuse de
guinguette acide de L’Étrange Mme X (Jean Grémillon,
1950) à la directrice d’agence immobilière étroite d’esprit
et sèche de cœur de La Vie à l’envers (Alain Jessua,
1963), de la savoureuse rombière à gigolos de Saint-Tropez
Blues (Marcel Moussy, 1960) à la vieille fille prolongée de L’assassin
connaît la musique… (Pierre Chenal, 1963), de la fausse
milliardaire-authentique escroque de Quand passent les faisans
(Édouard Molinaro, 1965) à la mère-monstresse de Suivez mon
regard (Patrice Ambard, 1989), où elle n’apparaissait que de
dos, ou filmée en profil perdu, tout en donnant le sentiment qu’elle
avait habité l’écran de la première à la dernière bobine…
Elle, lorsqu’on l’interrogeait sur son parcours, mettait plus
volontiers le théâtre en avant, ce qui peut aisément se
concevoir : compagne historique des Grenier-Hussenot, pilier
longtemps incontournable de la galaxie Anouilh, interprète
ponctuelle de Ionesco (quelle Mrs. Smith n’eût-elle pas
été !) ou de Genet, son palmarès en la matière était des
plus éloquents. N’y manquait, comme pour beaucoup de comédiennes
(au hasard : Tsilla Chelton, Claire Maurier, Geneviève Page,
Emmanuelle Riva, Martine Sarcey, Édith Scob…), qu’un Molière d’honneur,
le métier est ainsi fait… Tant pis pour lui. |