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ENCYCLOPÉDIE DU CINÉMA FRANÇAIS

 

 

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Anne Pigalle

Intermission Part Two

Anne Pigalle est une chanteuse comme chaque décennie ne semble en produire – tous pays confondus – que, allez, soyons fous et arrondissons au chiffre supérieur, trois ou quatre. Mettons trois. Un album mythique (Tout pourrait être si parfait / Everything Could Be So Perfect, 1986) – décliné en versions anglaise, française et franco-britannique – essentiel à tout happy few pour qui les honteuses années 80 ne se limiteraient pas à d’affligeantes lambadas, un slow pourri de Peter et Sloane ou un prime time sur France 3 animé par Isabelle-Karen-Morizet-Chéryl, plus tard le souvenir pérenne d’un rendez-vous manqué aux allures de concert à la Cité U annulé en dernière minute, plus récemment un coup de cœur rare pour la triple et très érotique résurrection discographique 2010/2011 de la Dame, l’envie encore d’aller prendre des nouvelles fraîches de Londres quelques mois après les émeutes que l’on sait et la sortie de scène définitive de Wino, les prétextes ne manquaient pas de consacrer à l’interprète de He ! Stranger notre deuxième itv en ligne. Entrez dans la danse, comme la principale intéressée le dit – et le chante – si bien.

Tu as laissé au public français l'image d'une chanteuse à la fois rare et culte, ceci expliquant peut-être cela, or donc, on te retrouve un quart de siècle plus tard, chanteuse toujours, mais aussi vidéaste, photographe, poète... Anne Pigalle serait-elle la réincarnation 2011 du couteau suisse ?

Je suis plus rare et culte que jamais !! Et je me sens toujours comme Orson Welles, "le petit épicier du coin face aux supermarchés" !!! Chanter sur une scène est probablement ce que je préfère, mais je sentais cette dimension m'étouffer, j'avais donc besoin de m'en eloigner pour y retourner... Toutes les disciples multimedias que j'exerce à côté sont en fait basées autour de la performance, j'avais besoin d'explorer d'autres allées pour mieux comprendre mon métier, dont le visuel tient une place importante...

Sur la toile, tu uses fréquemment d'un double anagrammé, L'Ange Lapine. C'est le syndrome "Docteur Jeckyll and Sister Hyde" ? Qui est L'Ange Lapine, par rapport à la Anne Pigalle qu'on connaît ?

On me connait comme Anne Pigalle , "une descentante, enfant illegitime de Piaf et Gainsbourg" (je cite), je ne voulais pas que cela devienne un carcan contraignant sans place pour la spontaneité, je voulais exprimer d'autres facettes de ma personnalité "déconnade, farce et cotillions". J'avais envie de me faire plaisir...

Avant d'enchaîner sur ton actualité - copieuse - en ce début d'années 2010, j'aimerais quand même revenir sur ton parcours d'égérie mid-Eighties, telle que l'ont connu et aimée les branchés français (entre autres) des Années 80. Cela te pose problème ?

Pas du tout. C'est bien la même! C'est bien moi!...

Si je reviens là-dessus, c'est parce qu'en France, on est dans une espèce de revival Eighties assez consternant, dont on ne semble retenir que le pire du pire, je ne sais pas si il y a un équivalent à ça du côté de Londres... Avant-hier, le service public français a particulièrement brillé en consacrant un prime time aux poubelles musicales d'il y a vingt-cinq ans, personne ne manquait à l'appel : Début de soirée, Cookie Dingler, Laroche-Valmont, Richard Sanderson... De fait, je pense qu'il est assez opportun de rappeler que les années 80, en France, ça a été aussi les débuts des Rita Mitsouko, les groupes rennais, style Marquis de Sade, l'ovni Baroque Bordello, l'alternatif version Béru/Ludwig, la grande époque de Taxi Girl... et toi.

Au moment de la sortie de Tout pourrait être si parfait - je crois que c'est le titre exact de la version à dominante française de ton album 1985 -, la presse te compare pêle-mêle à Piaf, Gréco, Barbara et Françoise Hardy... Ce n'est pas trop lourd à porter, quand on déboule avec un premier album ? Et, surtout, dans laquelle - ou lesquelles - de ces filliations artistiques te retrouves-tu le plus ?

Francoise hardy, je ne me souviens pas... Les autres, oui bien sûr, je suis peut-être la seule chanteuse française qui soit partie de son pays pour aller signer avec un label anglais en exportant une certaine culuture francaise ; pas une mince affaire, certains parlent de suicide de missionnaire; après on me prend pour une mégalo, mais y'en a qui ne se rendent pas compte du sacrifice!... Piaf, Barbara, Greco représentent pour moi un style et une substance où je me sens chez moi; donc no compromise ! Réponse à la deuxieme question : Piaf, peut-être, a cause d' une espèce de souffrance existentialiste bercée dans une spiritualité religieuse nécessaire.

L'album existe en deux versions, la version à dominante anglaise, rééditée en CD dans les années 90, et celle à dominante française, qui n'existe toujours qu'en vinyl... Avec le recul, de laquelle des deux te sens-tu la plus proche ?

La version "française" a été réalisée à la demande de la compagnie de disques, j'aime bien la première version, il y a anglais et français, comme les chansons ont été écrites.

En allant farfouiller sur le Net, on trouve ça et là de véritables pépites, notamment des versions en langue japonaise de plusieurs de tes standards 80's... Ca veut dire que tu es une star au Japon, comme Mireille Mathieu, Salvatore Adamo ou Brigitte Fontaine ?

Tu as trouvé des versions en japonais, montre les moi !! il y a quelques mots en japonais dans une pub pour un grand magasin. C'est vrai que j'ai eu du succès au Japon.

Le Japon, c'est aussi un angle d'approche comme un autre pour évoquer la suite, notamment ton séjour en Amérique, assez long, je crois. Tu reviens souvent, dans les colonnes de ton site perso, sur l'importance de ta période "States"... Quel héritage en as-tu rapporté ?

C'était important sur plusieurs niveaux: j'y suis resté 7 ans, je connais des aspects de Los Angeles que je crois peu d'européens connaissent, j'y suis allée pour plusieurs raisons : changer d'air sous le soleil et les palmiers, comprendre et côtoyer l'industrie du film, pour faire avancer le côté visuel de mon travail, confronter mon travail à l'éthique et au public américain (beaucoup plus simple qu'en Angleterre, ce qui démontre que tout est finalement une affaire de culture et de moeurs). Comme je n'étais plus sous le poids d'un label, je faisais ce qui me plaisait, et oui ce fut une expérience formidable, où j'ai appris énormément, je fréquentais des bouges de blues à South Central, etc... Le côté de l'industrie du film et du dollar ne m'a pas surprise, mais la générosité de certains de ses habitants, oui.

De fil en aiguille, j'ai envie de revenir sur tes collaborations artistiques passées, aussi bien en Amérique qu'en Grande-Bretagne, je crois, et dont la liste, au final, laisse songeur: je pense à Michael Nyman, bien sûr, mais il est loin d'avoir été le seul à avoir croisé ta route, semble-t-il...

Je crois beaucoup au travail à travers les rencontres, la liste est longue, ma vie jusqu'à présent a été une longue aventure, un voyage échelonné de rencontres et d'échanges; Donald Cammell fut une belle rencontre, parce que vraie et respectueuse.

Comment est née l'idée d'un triptyque consacré au X... ? Est-ce un projet que tu as longtemps maturé ? Les chansons de L'Âme érotique ont-elle d'abord existé en tant que poèmes avant de devenir des morceaux - paroles et musique - ou y a-t-il des titres que tu as écrit et composé d'un seul jet, musique et orchestrations incluses ?

C'est un triptyque aux années 2000-2010 (qui furent une grande période de réflexion pour ma part sur les relations amoureuses), pas spécialement ou uniquement au X - l'âme érotique, comme son nom le suggère, fait référence d'abord à l'âme puis à l'érotisme ensuite... Certains des poèmes existent depuis 2003, même période où j'ai commencé mes polaroids; j'ai rajouté des poèmes cette année (2011); tu sais, il y a des gens à Londres, qui me connaissent uniquement comme poète, étonnant, non ? Certaines lignes ou mots des poèmes sont inscrits sur mes photos et peintures, donc finalement, les 2 sont liés, la musique venant au troisième plan en ce qui concerne l'âme érotique - quant à l'amérotica, je voulais approcher un autre angle de l'expression musicale, plus expérimentale et électronique, tout en travaillant simultanément sur mes chansons plus traditionnelles, dirons-nous.

Comment as-tu pratiqué - l'expression est assez l'aide, désolé - la découpe entre les morceaux des différents albums, puisqu'il y en a trois à l'arrivée ?? Tu as plutôt procédé par thèmes ? Par ambiances musicales ?

L'amérotica I et II vont ensemble, juste en deux parties, peut-être parce que que ces morceaux se sont étalés sur plusieurs années de ma vie et que l'âme érotique est venue après. L'amérotica est en collaboration avec un musicien et ami Tommaso del Signore, L'âme érotique est réalisé entièrement par moi. 

Sur ce florilège de vingt ou vingt-cinq titres, quels sont ceux, la pâte une fois posée, que tu as le plus envie de défendre, sur scène, sur les ondes, en télé ou dans les bacs ? Et, si ce ne sont pas les mêmes, quels sont ceux dans lesquels tu te retrouves le plus ?

L'âme érotique est un puzzle en quelques sorte; chaque pièce a son importance et a été conçue comme cela, "X amount" qui est le plus hardcore si je puis dire, est celui qui suscite le plus de réaction immédiate en public; "Over the top", le plus romantique, "St orgasm", le plus comique, "Erotica de toi", le plus sensuel, "Pigalle London Paris" un poème pop sur Paris, "Cunt me In" semble un favori avec les fans, "Are you for real?" et "Lunch", esoteric, etc...

Lors d'un récent échange de courriels récent, tu évoquais une sorte de paradoxe entre la reconnaissance de L'Âme érotique et ses déclinaisons par la "hype" londonienne - presse incluse - et une certaine frilosité de la part des médias compte tenu du caractère pas toujours très "orthodoxe" de ton travail. Parler de sexe, même sous forme de poèmes ou de chansons, c'est toujours tabou dans la bonne société britannique du XXIe siècle ?

C'est vrai que mes photos et mes poèmes sont arrivés en même temps que la scène "burlesque", mais le burlesque ne fait que réincarner une tradition victorienne; j'essaye de pousser le bouchon en parlant de vrais problèmes personnels et actuels; ceci est le vrai tabou dans cette société toujours basée sur ces notions victoriennes - après mon expo qui eut beaucoup de succès (votée 4e dans le Time britannique), j'ai remarqué que toutes les filles de la scène arty à Londres (et même à New York) ont commencé à faire des choses similaires sur Facebook, mais...ce que j'ai remarqué aussi, c'est la croissance de pub à caractère pornographique; tu comprends, la pornographie ne fait pas peur, c'est un truc de macho pour "noyer le poisson" comme on dit ici; ce qui fait peur c'est une femme qui parle la vérité, si évidente pourtant, mais ce qui dérange finalement, ce n'est pas le sexe (en tant que graphique), c'est la vérité sur les rapports amoureux et les rapports de force. Surtout quand cette société en question est basée sur ces rapports de force et de pouvoir.

Ton public, aujourd'hui, ce sont plutôt les vingtenaires et + de la seconde moitié des années 80 - ceux que Gainsbourg, à cette époque, désignait volontiers sous l'appellation générique de "kids" - entre temps devenus des quadra et +, les vingtenaires et + des années 2010... ou les deux ??

Je ne sais pas... Ceux que ça intéresse...

(suite)

© Armel de Lorme